Rappel d’ambassadeurs entre le Maroc et la France : Un malaise diplomatique caché ?

Existe-t-il vraiment un malaise diplomatique entre Paris et Rabat ? Depuis l’éclatement de l’affaire du logiciel d’espionnage Pegasus, que les services du Makhzen ont utilisé pour l’espionnage des écoutes et échanges de hautes personnalités politiques françaises, dont le président de la République, Emmanuel Macron en personne, c’est le froid dans les relations des deux pays.
Le palais marocain s’est rapidement empressé de démentir les faits, pourtant prouvés et documentés par un groupe de professionnels des médias d’investigation. Espionner un chef d’Etat, de surcroît d’un pays ami et allié, est plus que scandaleux et cela ne peut provoquer que de simples étincelles.
Cependant, en dépit de la gravité de cette affaire, Paris n’a pas voulu remuer le couteau dans la plaie et créer des vagues médiatiques, préférant réagir en silence, en prenant ses distances politiques.
L’une des premières décisions est de « rappeler » son ambassadrice au Maroc. Son départ est en effet évoqué depuis des mois. Ce rappel est maquillé en la nommant dans les rangs du Service européen pour l’action extérieure, à Bruxelles.
Presque trois ans, jour pour jour, après sa nomination au poste d’ambassadrice de France au Maroc en septembre 2019, la diplomate de 55 ans va quitter son poste. Pour les observateurs, son séjour à Rabat a été marqué par la dégradation des relations entre le Makhzen et la France sur fond de polémiques, notamment celles liée à l’affaire Pegasus et à la position de la France concernant le Sahara occidental ; certains y voient comme un mince changement stratégique sur ce dossier dans la vision de Macron. D’autres ont avancé la thèse du mécontentement de Paris quant au développement rapide des relations entre le Makhzen et l’entité sioniste, notamment sur des questions de défense.
Selon ces observateurs, l’Elysée voyait d’un mauvais œil cette normalisation à pas rapides, estimant que cela ouvrait de nouvelles sources de tension dans une région traditionnellement sous son influence et très proche géographiquement du Continent européen. Une telle normalisation avec une entité sioniste belliqueuse et agressive équivaut à la résurgence de risques et autres périls qui mettraient en danger les propres intérêts français en Afrique du Nord.
De plus, Paris aurait mal apprécié que Rabat ne l’ait pas consulté sur cette normalisation, selon certains milieux diplomatiques au fait de ces dossiers.
Or voilà que le Makhzen répond au « rappel intelligent » de l’ambassadrice de France. D’une manière presque inattendue, c’est au tour de l’ambassadeur du Maroc à Paris d’être rappelé à Rabat. Officiellement, il va prendre la direction du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, récemment créé pour juguler la crise économique qui sévit au Maroc et tenter de lancer des IDE dans certains secteurs.
Le séjour de cet ambassadeur a été très court puisqu’il a été nommé en octobre 2021, soit une année seulement.
Selon RFI (Radio France internationale), « si elle n’est pas officiellement présentée comme un rappel, la décision est symboliquement lourde de sens dans un contexte de tension persistante avec Paris ».
En effet, le 18 octobre dans la soirée, un communiqué du porte-parole du Palais royal diffusé par l’agence officielle MAP annonçait la nomination, en Conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI, de Mohammed Benchaaboun à la tête du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Un tel changement de poste, qui survient dans un contexte de crise entre le Maroc et la France, comporte une très forte charge symbolique.
Car si Benchaaboun, en tant qu’ancien ministre des Finances et ex-patron de la BCP (Banque centrale populaire), a le profil pour diriger cette structure, son départ de la capitale française, un an à peine après son arrivée à cette chancellerie, sonne comme un rappel qui ne dirait pas son nom.
Les dessous de ces rappels devraient bientôt être connus, d’autant que leurs remplaçants n’ont toujours pas été nommés. Mais pour les observateurs, cela dénote bel et bien de la persistance d’une crise entre la France et le Makhzen.